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- Documentation de ritmacuba.com : Les styles de la musique cubaine


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Un rythme cubain aux origines méconnues :

 Le «ritmo pilón»

par Daniel Chatelain

 

(vidéos en fin d'article)


Pacho Alonso & Los Bocucos. Ibrahim Ferrer à gauche, "Chino Pichón" timbalès

Le rythme pilón n'est pas le plus connu des rythmes de la musique cubaine, bien que joué à nouveau aujourd'hui, en en commençant par Pachito Alonso, fils de Pacho. Sa genèse est encore moins connue. Il court des légendes à ce sujet (« une danse née dans les plantations de café, en imitant le geste du « pilón » - mortier pour piler le café ») répandues par des popularisateurs du rythme. Les historiens de la musique cubaine, en général, ne rendent pas justice aux précurseurs de ce rythme. Une chose sur lequel tout le monde est d'accord c'est que la genèse du style se passe entièrement dans la ville de Santiago de Cuba

PILÓN (RITMO), sym. [espagnol/cu]

Rythme dont le nom est apparu en 1960, mais nous allons voir qu'il a été créé une décennies  auparavant autour de  Esmerido "Lolo" Ferrera, qui fit toute sa carrière de batteur dans l'orchestre Chepín-Chovén de Santiago de Cuba (il y avait été intégré encore enfant) .

Le pilón existait-il avant la mode du pilón?

On trouve les caractéristiques du rythme dans les enregistrements de cet orchestre avant que le nom pilón n'apparaisse comme nouveau style, promotionné en tant que tel, dans la musique cubaine. (On en trouve un exemple dans la version originale du célèbre "El platanal de Bartolo", de 1956, chantée par Ibrahim Ferrer au sein de "Chepín y su Orquesta Oriental" (avant que le futur participant du Buena Vista Social Club ne rejoigne la formation de Pacho Alonso, "Los Bocucos". CD Mi Oriente, Tumbao). Précisons que ce morceau se crée au sein de cet orchestre en 1951.

Chepín-Chóven
La Orquesta Chepín Chovén dans un studio de radio (archives de Roberto Nápoles)

Écouter El Platanal de Bartolo (Chepín Chovén, chant Ibrahim Ferrer : https://youtu.be/LCya1ebrl_c

En effet Esmerido "Lolo" Ferrera élabore progressivement une nouvelle figure rythmique qui se stabilise vers 1952. Autour de cette figure instrumentale un rythme nouveau est créée avec Roberto Nápoles à la basse et Bernardo Chauvin (Chovén) au piano. Le rythme est conçu sans tumbadora. Il est baptisé au sein des musiciens du nom de pilón. Pourtant un jeune percussionniste fils d'Isodoro Correa (un chanteur titulaire de l'orchestre Chepín Chovén), Imilbo Correa finira par ajouter un accompagnement à la tumbadora dans l'orchestre.

Ce choix lexical de pilón fait par "Lolo" Ferrera s'explique par les liens étroits de ce dernier, y compris familiaux, avec la Conga de défilé de son quartier (Los Hoyos). En particulier, il assistait régulièrement aux répétitions de celle-ci, fasciné par leur polyrythmie (1) et a systématisé dans son jeu de batterie le placement particulier d'une syncope rythmique de la conga orientale qui constituait une marque quasi-identitaire. Cette marque de fabrique de "Lolo" était tellement inséparable de son jeu que les musiciens de La Havane, tels ceux de l'Orquesta Riverside, avaient surnommé Lolo "Pilón"! (ceci selon interview personnelle de Silvio Ferrera, fils de Lolo).

Le pianiste Chovén présenta ainsi la figure rythmique de Lolo : "un coup donné en temps 4x4, dans la deuxième partie du troisième temps. C'est alors que Lolo jouait avec la baguette sur la peau de tambour de la timbale femelle; et avec ses phalanges, sur le macho des timbalès" (Livre Son de la loma..." p. 141)

Le chanteur et bassiste Roberto Napoles, revendiqua fermement l'apport de Lolo et leur contribution collective : "Le pilón se forme parce que Chepín ne voulait pas de tumbadora. Alors Lolo a fait un son qui venait de la combinaison de jouer avec le bout de son doigt, son pied sur la pédale et la baguette dans sa main. En joignant cela à la basse et le piano, Le rythme du pilón apparaît, ça est sorti comme ça, tout simplement, et ça n'a jamais été noté comme ce qu'a créé celui-ci, l'autre. (même source). Il y a un nom qu'il ne veut pas prononcer. Quelques mois avant son décès à 99 ans, Roberto Nápoles, intallé chez lui dans sa chaise à bascule me confirma mot pour mot ce propos noté dans le livre El Son de la Loma... (voir bibliographie)


Roberto Nápoles, photo Jorge Luis Guibert

"La Chepín" , orchestre préféré des danseurs de Santiago, s'entend toutes les semaines sur la radio régionale, la Radio Oriental. On pourra entendre avec la Chepín un jeune chanteur, encore étudiant à l'École Normale : Pacho Alonso. Il vient de l'orchestre de Mariano Mercerón et fondera peu après son premier groupe : Los Modernistas. Il décrit lui-lême l'ambiance sonore dans le Santiago de l'époque outre les juke-boxes : "J'avais l'habitude d'aller au Canal Oriental de Radio pour écouter Chepín, et de là je m'arrêtais au Parque Cespedes pour écouter ces "vieux" avec leur trova et leurs histoires". Il partira en 1957  à La Havane bien imprégné du du rythme surgit au sein de la Chepín.

Par contre "La Chepín"  reste dans la province orientale car Chepín, qui déjà n'a jamais voulu prendre l'avion, ne veut plus voyager.



Lolo (à gauche) en studio avec Imilbo Correa, tumbadoras. Cette photo m'a été confiée par la famille Ferrera.

Dans cette même période Pacho se lie avec Enrique Bonne et c'est avec les compositions de ce dernier et notamment le "Chachachá de la Reina" que Pacho va, en 1954, réaliser ses premiers enregistrements pour la RCA accompagné par la formation de Mercerón. En quelques années Pacho devient un célèbre chanteur de boléro, ce qui le mène dans la capitale, et également triomphe au carnaval de La Havane.

 

La vogue du pilón

C'est Enrique Bonne né à San Luis et devenu définitivement santiaguero à partir de 1948, qui conçoit avec ses compositions la vogue du pilón, lancé commercialement à partir de 1960, grâce à son ami son ami Pacho Alonso. Dans l'orchestration du pilón E. Bonne propose d'utiliser l'organeta, un petit clavier électrique dont le son lui a rappelé le son de l'organo oriental.

Dans on premier LP enregistré, Pacho Alonso, interprète pour la première fois deux ritmo pilón (Yo no quiero pieddra e mi camino, et tambalea, deux compositions de Bonne) bien que les styles ne soient pas annoncé sur la pochette. Le Lp RCA Victor 521 "Una noche en el Scheherezada con Pacho Alonso" est enregistré à La Havane avec l'Orchestre de Bebo Valdés (avec le jeune Chucho Valdés au piano!) (en fait probablement hors de ce cabaret) le 16 octobre 1960.


Deux édition, collection Didier Ferrand

Postérieurement, viennent d'autres enregistrements de Pacho avec sa formation formée de santiagueros 'Los Bocucos' (1963). Dans cette formation le pilón est lancé sur la scène comme un nouveau rythme.

La première composition de Bonne enregistrée au sein de cette formation fut "Baila José Ramón" (1964). L'enregistrement est dans les studios RCA nationalisés, à La Havane, il faut intégrer des musicien de studio, par exemple pour la batterie Guillermo Barreto fera à sa manière ; en l'occurence une manière peu originale, rythme cha cha  sur la cloche de la cymbale, peu de relance sur la peau grave des timbalés... Un peu lent et pas propre à soulever l'enthousiasme des danseurs.

Écouter Baila Rosé Ramón : https://youtu.be/yU41sR_0H4A

Le LP Rico Pilón de Pacho Alonso a un impact particulier. Tous les titres sont du rythme annoncé, dont deux compositions de Bonne et il introduit sa première composition, Rico Pilón, le morceau phare. Ce qui le distingue des enregistrements est que la ryhmique est entièrement orientale, en particulier les timbalés de "Chino Pichón" qui reviennent au "golpe de Lolo" (Bonne le reconnaît bien tardivemenr dans "Son de la Loma, p.176). La saveur rythmique est celle attendue par une telle participation. C'est le pilón joué aujourd'hui

Écouter Rico Pilón : https://youtu.be/f9_erFmh7fI



LP Rico Pilón, Collection Mark Sanders

Au sein des Bocucos le ritmo pilón était réparti entre les timbalés jouées par "Chino Pichón"(Ernesto Cobas Mancebo), connu pour ses qualités de showman et ses excentricités, un fidèle des formations de Pacho Alonso et les tumbadoras de celui connu par tout le monde sous le pseudonyme de "El Kengue" deux évidemment santiagueros. "Chino Pichón" joue naturellement le style dans la continuité de Lolo, tandis qu'El Kengue apporte une nouvelle figure ryhmique aux tumbadoras.

Insistoms sur le dispositif instrumental de Chino Pichón : timbalès avec grosse caisse, venu directement celui de Lolo, tel qu'il peut se voir sur les deux photos en N&B de Pacho Alono & Los Bocucos sur cette page. Changuito (José Luis Quintana) l'a repris sur le même modèlet en l'utilisant dans Los Van créé en 1970. Il reconnaît à plusieurs reprise le précédent de Lolo (voir après les notes).

Dans les Bocucos, on verra même deux congueros jouant simultanément en complément des timbalès et de la grosse caisse comme le montre un enregistrement télévisé de 1965. 

https://youtu.be/jWG2TUSykgY

Pacho Alonso chantant le pilón Maria Cristina avec Los Bocucos
(deux congueros, Ibrahim Ferrer au güiro, peut-être Emilio del Monte aux timbalés, danse Las d'Aida avec Omara Portuondo pour cette émission de fin d'année)

Souvent la scénographie vise à donner une nouvelle image mentale du genre. Ses prémisses viennent nous l'avons-vu d'un quartier ouvrier de Santiago de Cuba. Elles sont sciemment effacées pour accentuer le caractère nouveau et être la création exclusive des innovateurs (il s'agit de lancer une mode comme on en a connu diverses dans les années '50), une nouvelle imagerie vient y suppléer, le mot pilón est déplacé vers une autre acception, le pilon, mortier à piler le café des montagnes de la région orientale, avec un certain exotisme et un érotisation. De grands mortiers apparaissent à l'occasion sur les côtés de la scène, à l'occasio "pilonnés" par de charmantes jeunes filles, la danse spécifique qui doit accompagner un nouveau rythme s'élabore, avec un apparentement à la danse de carnaval, avec son déhanchement et un saut syncopé avec ouverture des bras simultanée quand arrive le quatrième temps (« un, dos tres, pi-lón ! »), une exclamation ponctuée par l'orchestre, qui s'intercale entre deux séquence du rythme de base.. (3) Par instants, les danseuse "pilonnent" dans le vide, mouvement repris en scène par Pacho.

Un récit d'Enrique Bonne sur sa découverte du rythme du mortier à piler le café légitime cette imagerie. Un récit qui apparaît puis disparaît et ne convainc pas tous les connaisseurs. Il est assez curieux qu'il n'apparaisse pas dans son  livre autobiographique.

Los Bocucos
Pacho Alonso y Los Bocucos. "Kengue" aux tumbadoras, "Chino Pichón" aux timbalès, Modesto Balbuena ctb (à g.), Ibrahim Ferrer au güiro à droite.     

La vogue étant créée, d'autres orchestres de l'île, en particulier 'La Sonora Matancera', s'emparèrent également du rythme. Le ritmo pilón a été repris dans les années '90 par Pachito Alonso, fils de Pacho, et Orlando "Maracas" Valle lui a rendu hommage dans un récent CD. (3)

Le rythme pilón est apparenté à la conga, rythme du carnaval cubain. On y retrouve à la fois une syncope analogue à celle d'un tambour bimembranophone de la « conga orientale » de Santiago - appelé précisément "pilón" - et l'accentuation anticipant le quatrième temps de la « conga occidentale ». Il partage cet apparentement à la conga cubaine avec le rythme Mozambique de Pello El Afrokan apparu peu après lui. C'est immédiatement après avoir travaillé avec E. Bonne sur les arrangements de ses deux premiers pilón que le guitariste Juanito Marquez (né aussi à Holguín) crée lui aussi un nouveau rythme, le pa-cá (dont une caractéristique est la frappe matérale de la tumbadora sur le fût).

Très vite apparaissent des rythmes de nom composés dans les enregistrements :
Pachanga-ritmo pilón, guasón pilón, calipso pilón...

Le pilón est aujourd'hui un patrimoine national cubain, repris dans des fusions, comme celle de l' Oriental William Vivanco (cf. vidéo) et du Collectif Interactivo dont il fait partie. Auparavant, le percussionniste Anga Diaz avait proposé une version "funky" du rythme.


30.04.2003 - 02.07.2017 (vidéos) - 30-01.2023 © Daniel Chatelain


(1) "te digo también, que siempre veia a Lolo atento a la sesión de tambores de la conga de Los Hoyos, donde el quinto tambor era un virtuoso" : j'ajoute  que j'ai toujours vu Lolo attentif à la session de la conga de Los Hoyos, où le quinto était un virtuose" (Bernardo Chovén in Reinaldo Cedeño Pineda & Michel Damián Suárez : Son de la loma, Los dioses de la música cantan en Santiago de Cuba, p.141, ed. Musical de Cuba, 2001).

(2) Radamés Giro fait erreur en affirmant que ce fut le premier pilón enregistré (Música Popular cubana, p. 76).

(3) Un pas de pilón, où on rejette un bras et le pied correspondant en arrière, s'intègre aujourd'hui à la danse casino (« salsa cubaine »), en alternative au pas de base de la salsa.

(4) José Aquiles Virelles Rodríguez, Pedro López Cerviño. No quiero piedras en mi camino, Conversaciones con Enrique Bonne. Editorial Oriente, 2015.

P.S : 
était insérée depuis 2017 dans cet article une vidéo pédagogique de José Luis Quintana "Changuito" avec les figures de pilón sur les timbalès et les congas. Dans la partie finale, Changuito parle de l'apport de Lolo, dont il était l'ami, et de sa manière particulière de jouer son rythme (il y met une grosse caisse) et rend également hommage à Chino Pichón. Cette vidéo a malheureusement été retirée de youtube

Article complémentaire : Un percussionniste cubain injustement méconnu : "Lolo" FERRERA

Discographie sélectionnée

Lp Maype 107   "El platanal de Bartolo - Chepín y su orquesta Oriental". Sans Bernardo Chauvin. 1957

Lp Discuba 521 / Lp RCA EGREM 521  "Una noche en el Scheherezada con Pacho Alonso"  Grabado en la Habana, octubre 16, 1960.  Orquesta de Bebo Valdés.  

- Yo no quiero piedra en mi  camino / ritmo pilón  (Enrique Bonne)

- Se tambalea / ritmo pilón  (Enrique Bonne)

Lp Discuba 560  "A bailar con Pacho Alonso"  La Habana, agosto 14, 1961. 

- Don resolvió y cualquiera es/ Pachanga-ritmo pilón (Enrique Bonne)  

- Bajo kum kum kum / ritmo pilón (Enrique Bonne)

Lp EGREM MP-3162  "Pacho Alonso y sus Bocucos"

- Cemento, ladrilo y arena / guasón-pilón

Lp Areito EPA 1076 "Rico Pilón" Pacho Alonso y sus Bocucos (cf détails dans l'illustration)

Lp Areito 3154  "Juanito Márquez y su combo" . Rafael Somavilla, p;  Guillermo Barreto, dr.;  Pedro Gómez, cant.   1964.

- Arrimate pa'ca


Sources :

Enquête de terrain à Santiago de Cuba années 2000, 2010.

Interviews personnelles : Silvio Ferrera (2003), Roberto Napoles (2011)

Reinaldo Cedeño Pineda & Michel Damián Suárez : Son de la loma, Los dioses de la música cantan en Santiago de Cuba,  ed. Musical de Cuba, 2001)

http://www.montunocubano.com/Tumbao/biographies/napoles,%20roberto.htm, http://montunocubano.com/Tumbao/biographies/alonso,%20pacho.htm

Díaz Ayalá : Discografía de la Música Cubana

Remerciements : Didier Ferrand, Aldo Medina García, Daniel Mirabeau, Emmanuel Massarotti, Rolando Pérez.



Le pilón fusion de William Vivanco



Le pilón continué par Pachito Alonso


Sur facebook (page MOPERC) : un pilón très actualisé (2017) : Rusdell Nuñez y su Sabor Concentra'O (entregistré au Québec)



Chorégraphie de pilón (Compañía All Stars de Santiago de Cuba (de 5 mn à 7 mn20)



Chorégraphie de pilón (Conjunto Folklorico Nacional de Cuba)



Pilón par le Steel Band Cuba


La fusion rythmique de Anga Díaz basée sur le golpe pilón (Vidéo retirée de youtube)



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