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Santiago de Cuba - Juillet |
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Initialement, Michel Faligand a écrit cet article à destination de l'encyclopédie Wikipedia en français. L'expérience lui ayant enseigné que des parties - jugées par l'auteur importantes pour leur contribution informative - pouvaient disparaître du jour au lendemain de ce support au profit de versions affadies, il nous a confié le texte intégral, illustré par lui-même, que nous nous faisons un plaisir d'accueillir sur www.ritmacuba.com . Cet article est à notre avis représentatif des qualités d'érudition comme de méthode, de générosité comme d'exigence du fondateur de la revue Percussions et d'autres supports informatifs ultérieurs de ce domaine (dc)
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DU BONGO
El Bongosero
¡ Oigan, oigan caballeros,
Como suena mi bongó :
Priquitipó,
Priquitipó,
Priquitipó,
Po'po,
Priquitipó !
Felix B. Caignet/1950 (Ortiz 1952, 444)
Le terme « bongo » désigne UN instrument fait de deux fûts, sa graphie est donc « bongo », sans le « s » du pluriel. L'expression « une paire de bongo(s) » est déconseillée, sauf à vouloir faire référence à quatre fûts. « Le bongó est la synthèse la plus réussie caractérisant l'évolution des tambours jumeaux présents dans la musique afro-cubaine. » (Ortiz 1952, 447). Né, grandi, honoré dans l'Oriente de Cuba (orchestres de son), le bongo était déjà un adulte en bonne forme quand il arriva à La Habana en 1912 dans le paquetage de « Charará », musicien de la Guardia Rural, pour « sofocar una insurrección. » assure le juriste-musicologue Ortiz. Ses musiques allaient connaître une riche histoire dont ce qui suit n'est qu'un trop bref condensé. Bonne lecture !
Abréviation : bg
Classification Hornbostel-Sachs : 211.211.11
Le BONGO (orthographié bongó en espagnol de Cuba) est constitué d'un couple de cylindres creux ou de troncs de cônes en bois (évidés) ou en fibre synthétique, munis chacun d'une seule membrane & dénommés tamborcitos ; mais, comme le remarque Don Fernando, on le qualifiera de bimembranophone ou d'unimembranophone selon le point de vue organologique adopté (Ortiz 1952, 418). De hauteur semblable, ces fûts ont des diamètres différents. A l'origine, ils étaient appariés au moyen d'une bande de tissu, alors, le percussionniste posait l'ensemble sur sa cuisse pour faire sonner son instrument (cf. les premières timbales militaires sur le garrot des chevaux). Rapidement, cette pièce de textile a été remplacée par un morceau de bois permettant à l'instrumentiste de « cadenasser » les tambours dans les plis de ses genoux. Dans les premiers temps, les peaux (de veau) – souvent cloutées sur le fût - étaient chauffées à la flamme pour accorder l'instrument. Tata Güines tranche sur un sujet controversé : « Les congueros, on se réunissait souvent pour parler boulot & pour échanger des idées en vue d'améliorer cette contrainte des bougies. & puis, un jour à la fin des années 40, les frères Vergarra qui habitaient dans le quartier Reparto Lawton [La Habana] ont modernisé la conga & le bongo en ajoutant un système de clés métalliques pour fixer les peaux. » [Delannoy, Luc. 2000. ¡ Caliente ! Une histoire du Latin Jazz. Paris : Denoël, 128]. Ceci n'empêche pas certains d'attribuer ce pas définitif à Carlos « Patato » Valdés? Pourquoi ne pas opter pour des créations parallèles ? Ce qu'un articulet paru dans une revue cubaine (Tropicana) invite à faire. Les inventeurs seraient donc Basileo « El Colorao » POZO & Ulpiano DÍAZ (respectivement conguero & timbalero de la charanga 'Arcaño y sus Maravillas'), secondés par un forgeron mélomane. Ces essais – discrets – aboutiront à un système de clés fixées sur les fûts : « En 1944, « El Colorao » fait irruption sur scène, la tumbadora recouverte d'un voile & ne s'affaire nullement pour la chauffer. Au moment où l'orchestre s'apprête à jouer, « El Colorao » dévoile son invention. » [source : Patrick Dalmace, Montunocubano, 27.10.01]. Malins, les dépositaires du brevet tireront les marrons du feu.
Affirmant la paternité bantoue, les experts (Fernando Ortiz 1952, Olavo Alén Rodríguez 1997) demeurent prudents quand il s'agit de désigner un tambour identifié comme celui dont le bongo est le descendant direct. Suivons leur exemple !
Regardons notre instrument ! Le petit fût, c'est le macho (le « mâle » en espagnol), il sonne dans l'aigu & prend place sous la main gauche du musicien, tout au moins chez les zélateurs des musiques caraïbes. Le fût de droite, c'est la hembra (la « femelle »), sa sonorité est grave. L'accord se fait généralement à la quarte ou à la quinte.
La cellule rythmique de base du bongo (dite aussi « patron ») est le martillo ou « petit marteau ». Souvent joué en trémolo (redoble), il sonne un peu comme « tiki-toki-tiki-toki-tiki » [le « dicky-docky-dicky-docky-dicky » des anglophones] ; l'instrumentiste qui joue sur musicbis.com donne une idée de la chose.
Pas de bolero, pas de son & surtout pas de changüi sans le travail polyrythmique du bongosero (avec un « s » !). Maya Roy (Caribefolk , septembre 2004) dit très bien les choses : « A défaut d'un bongó ancien, dont les deux tambours accolés sont plus grands & à peau clouée, on peut utiliser le bongó à clés, mais on l'accorde toujours dans le registre grave, selon la tradition du changüi, différente de celle du son. Autres différences notables avec le son, le bongó joue le contretemps & non sur le temps comme dans le son, & les deux petits bois appelés claves sont exclus. L'expressivité de la percussion lui vient de la diversité des frappes & des sonorités, par accélération ou double frappe (repicao), & les changüiseros utilisent toutes les ressources de la pleine main comme des doigts. »
El Niño del Bongó, photo : Roberto Suárez
Quelques bongoseros « historiques » : Willie Bobo, Antoni Carrillo, Alberto Cepeda, « Charará », « El Chiquelo », Sylvano Shueg (« El Chori »), Jack Costanzo (« Mr Bongo »), Ricardo León Dueñas « El Niño del Bongó », Carlos Godinez, Henri Guédon, Agustín Gutiérrez*, Arturo Latambet, Manuel Alemán Guerra (bongó de cañambú), José Mangual Jr, Armando Reyes Lelievre, Manny Oquendo, Armando Peraza, Carlos Jorge Peregrín, « Chino » Pozo, Roberto Roena, Ray Romero, Johnny « Dandy » Rodríguez, Martin Saint-Pierre, Oscar Sotolongo, Ignacio Tavera, « Yayito ».
Armando Peraza - DR
Le bongoïste (ça se dit?) & ethnomusicologue d'origine argentine Martin Saint-Pierre a construit une œuvre très personnelle dans laquelle la musicothérapie tient une place volontairement importante.
Je me demande s'il est bien convenable de proposer – comme le fait un site – de substituer un bongo au nyabinghi jamaïcain, tambour traditionnel rastafari.
Dans les orchestres de musiques savantes occidentales, le bongo (affublé de l'étiquette « percussion digitale ») est souvent juché sur un stand (fûts inversés !) & percuté avec des baguettes (!!!). Exception notable : dans Sur le même accord (pour violon & orchestre, créé à Londres le 28 avril 2002), Henri Dutilleux a prévu un bongo joué à mains nues. Les compositions dont l'instrumentarium compte un bongo sont nombreuses. Ce répertoire peut se diviser en pièces dans lesquelles l'instrument fait partie du pupitre des percussions, en partitions de musique de chambre & en œuvres écrites pour percussions seules. On ne s'étonnera pas d'entendre souvent le bongo dans les célèbres Rítmicas (1929) d'Amadeo Roldán [1] , dans Ionisation (1931) d'Edgard Varèse, dans des compositions de Tanía León ( « née à Cuba), cf. A la par (1986) ou dans le solo du compositeur vénézuélien Roberto Sierra Bongo-O (1989). Dans la catégorie des duos, j'ai récemment entendu Zoom (1970) pour clarinette & bongo de Milan Stibilj ; je n'oublie pas les deux pièces de Michael Daugherty datées de 1994 : Lounge Lizards & Shaken Not Stirred ; mais, c'est avec Steve Reich qu'il faut compter pour être « emporté » par une œuvre peu commune Drumming (1970-71).
Michael Dougherty - DR
*Agustín Gutiérrez Brito ("Manana", "Montoto", "Coco") : bongosero majeur du Sexteto Habanero, du Septeto Nacional et du Conjunto Matamoros (Note de l'éditeur).
Eléments bibliographiques
ALÉN RODRÍGUEZ, Olavo (d.). 1997. Instrumentos de la música folclórico-popular de Cuba. Volumen 2. La Habana (cu) : Editorial de ciencias sociales : 411-423, dessins, musiques, photos.
ALÉN RODRÍGUEZ, Olavo (d.). 1997. Atlas de los instrumentos de la música folcóorico-popular de Cuba. La Habana (cu) : Editorial de ciencias sociales : 28, carte de l?île, graphiques & tableaux précisent la distribution territoriale du bongo : un document à ne pas manquer !
ORTIZ, Fernando. 1952. Los instrumentos de la música afrocubana. Volumen 4. La Habana (cu) : Publicaciones de la Dirección de Cultura del Ministerio de Educación : 416-449, dessins, photos.
Eléments discographiques
1957/r1993. « Jacky Costanzo. Mr Bongo plays cha-cha-cha? – LP /CD – Palladium 163.
1967/r2000. 'Pérez Prado. Concierto para bongo' – LP – WS Latino LS 61005.
1977. 'Libre. Tiene calidad' – LP – Salsoul SAL-4114. [avec Manny Oquendo]
1994. 'Roberto Roena y su Apollo Sound. El pueblo pide que toque' – CD – Musical Productions 6143.
1996a 'José Mangual Jr. Tribute to Chano Pozo, vol 2' – CD – MC Productions 921.
1996b. 'Martin Saint-Pierre. Le corps comme chronique d'un voyage au bout de soi-même' - CD – Tangram TL 50 34. ["Ma démarche : pénétrer le monde du silence, permettre à l'enfant, au-delà de son handicap, de s'exprimer individuellement & collectivement, éveiller en lui une écoute créative". Biographie (1999). Avec l'aimable autorisation du Service de Presse de la Direction de la Musique de Radio -France. » ]
1987. 'Steve Reich. Drumming. Steve Reich & musicians' – CD – Electra Nonesuch 979 170-2.
Eléments filmographiques
SD. 'Brad Dutz. Have fun playing bongos' – DVD – Warner Brothers 905 854 – 60:00.
2003. 'Richie Gajate García. Close-up on bongos & timbales, vol. 2' - DVD – Latin Percussion LPVI 30-D – 60 :00.
2007. 'Hakim Ludin. Modern Percussionist. Vol. 4. Modern Rhythms On Bongos' – DVD - HUDSON MUSIC EUROPE LIMITED
Eléments webographiques
Sources : archives Percussions Sans Frontières (1988-2007)
© septembre 2007 - Michel Faligand – tous droits réservés
[1] « Applaudissant le maître cubain Amadeo Roldán pour son travail révolutionnaire en faveur de la culture musicale de Cuba, Alejo Carpentier dit : "Le grand travail de Roldán aura été de remplacer une lire italianisante par un bongó à la personnalité bien trempée. Le bongó est un instrument bagarreur, encore intact dans les mémoires ; son primitivisme l'éloigne de tout mauvais goût. Le bongó palpite, alors que la lire s'est fossilisée. Aussi Stravinski a-t-il choisi le bongó." (Ortiz 1952, 429).