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- A lire également : Chroniques livres (1) :
- DIANTEILL, Erwan : Le savant et le santero, Naissance de l’étude scientifique des religions afro-cubaines (1906-1954)
- GILLES, Clotilde. 2001. Un univers musical martiniquais
- LEYMARIE, Isabelle. 1998. La musique des Dieux (livre +CD).

Lire aussi la page : "LE JAZZ LATIN, DEFINITIVEMENT" par Michel Faligand
à propos des parutions de :
- LOZA Steven : TITO PUENTE and the making of latin jazz

- DELANNOY Luc : !CALIENTE! Une histoire du Latin Jazz

CUBA ET SALSA, RYTHMES ET CONTEXTES

A propos de parutions autour autour de la salsa et de la musique cubaine

© Daniel Chatelain (2000)

 

Cet article rend compte, dans l'ordre, des parutions suivantes : La référence des ouvrages cité est en fin de l'article.

- Cahiers de Musique Traditionnelles n° 13. Métissages

- NAVARRETTE, William. La chanson cubaine (1902-1959) : texte et contexte

- ROMERO, Enrique. Salsa, el orgullo del barrio

- STEWARD, Sue. Salsa, musical heartbeat of latinamerica

- RUEL, Yannis. 2000 : Les soirées salsa à Paris, regard sociologique sur un monde de la fête,

- COSSARD, Olivier Cossard et Helio HOROVIO. 2000 : Ritmo Cubano, 250 superbes pochettes de la musique cubaine.

- COSSARD, Olivier Cossard et Helio HOROVIO : Le Guide des Musiques de Cuba.

(La référence des ouvrages cité est à la fin de l'article).


“Le bongo, le tiple et le güiro n’ont pas cessé de jouer,
Parce que les guajiros sont ainsi,
Ils ne s’arrêtent pas
C’est une coutume paysanne
Depuis le temps de la colonie”.

Guateque campesino, chanson de Celia Romero
(traduite par W. Navarrette)

- Cahiers de Musiques Traditionnelles n° 13 : Métissages. 2001. Georg ed., Ateliers d’ethnomusicologie. Relié - 287 p. - photos - illustrations musicales. Vente par correspondance (tél. 00 41 22 702 93 11, <abonnement@medecinehygiene.ch>).

Entre autres articles :
- Plisson, Michel : “Systèmes rythmiques, métissages et enjeux symboliques des Musiques d’Amérique latine" (22 p.).

- Sandroni, Carlos : “Le tresillo : rythme et “métissage” dans la musique populaire latino-américaine imprimée au XIXe s."
(22 p.).


Avant d’aborder les nombreuses publications autour de la Salsa et de la musique cubaine, qui comblent de plus en plus les vides de l’édition francophone sur le sujet (de la même façon que les écoliers post-Jules Ferry ont vu disparaître peu à peu les zones blanches résiduelles qui parsemaient les cartes d’Afrique !), je voudrais commencer en guise d'introduction par une parution dont le sujet général est le métissage musical. On ne s'éloigne guère du sujet, puisque la musique dite latine est comme un symbole du métissage musical et que deux articles fouillés abordent la question rythmique dans la musique latino-américaine.


Dans la dernière livraison de ces cahiers, Vanuatu et Roumanie, Inuits et Garifuna, raï et tango, sont autant de mots-clés qui se font écho dans mon inventaire à la Prévert, tandis que ce tour du monde et des styles continue par des mises en parallèles (ou en relation) des musiques d’Amérique du Nord et d’Afrique du Sud, du jazz et des musiques traditionnelles, de l’Inde et des... Beatles. Autant dire que la question cruciale du métissage est attaquée sous les angles les plus divers par cette publication émérite. Et donc nombreux sont les lecteurs qui trouveront leur miel sous la plume (si j’ose dire !) des nombreux spécialistes mis à contribution.


Parmi toutes ces mises en écho, les articles de Michel Plisson et de Carlos Sandroni abordent la question fascinante des structures rythmiques dans la musique latino-américaine. L’article de M. Plisson aborde les syncrétismes rythmiques afro-américains : à propos des structures hémioles ou sesquialtières présentes, il relève qu’elles sont le produit de confrontation des structures binaires et ternaires elles-mêmes issues de la relation forcée des populations d’origine européennes et africaines sur les terres américaines. Dans les cas de la musique de Cuba, l'auteur relie l’absence de la reconnaissance de ce syncrétisme rythmique à la sous-estimation de l’influence noire dans l’île au cours de son histoire passée. L’auteur finit par en venir au rôle de la formule de clave (1) dont les relations rythmiques agissent comme une contrainte intériorisée, et qui ne peut s’expliquer sans ce syncrétisme euro-africain.


Les formules rythmiques de tresillo et de cinquillo sont au coeur de l’étude de Carlos Sandroni. Il fait une mise en parallèle intéressante entre le phénomène historique de la binarisation des rythmes ternaires néo-africains sur le sol américain et une observation de terrain portant sur la transmission des rythmes latino-américains en Europe, quand il voit de jeunes capoeiristes européens opérer une binarisation spontanée et radicale du rythmes du tresillo.


Sur le phénomène américain de la binarisation des rythmes ternaires, un livre est cité brièvement par Plisson. Il est à mon avis fondamental (et malheureusement à peu près introuvable aujourd’hui), celui du cubain Rolando Pérez (1986). Nous avons publié et traduit cet excellent auteur, le lecteur fidèle de PERCUSSIONS s’en souviendra peut-être, à propos d’un autre sujet (“Le tambour des tonadas de Trinidad (Cuba)”, PERCUSSIONS ancienne série n°59, 1998). © Daniel Chatelain

 

- NAVARRETTE, William. 2000. La chanson cubaine (1902-1959) : texte et contexte, éd. L’Harmattan, Paris. ISBN : 2-7384-9861-2. Broché - 193 p. - www.caribefolk.com prix : 16.75 €

Sommaire : Préface de Maria Poumier - Interview de Felix Valera Miranda 1. Les chansons inspirées de la réalité locale cubaine 2. Les compositions liées à la vie politique 3. L’humour dans la vie courante des Cubains 4. L’amour dans la chanson cubaine 5. La musique vante ses propres valeurs. Conclusion - Glossaire - Bibliographie. Prix : 16.75 euros (www.caribefolk.com)


Sans aucun doute, Alejo Carpentier, le plus français des auteurs cubains, aurait pu écrire directement en langue française sa “Musique à Cuba”, écrite il y a un demi-siècle et devenu ouvrage de référence. Faute d'avoir eu une raison de le faire, ce ne fut pas le cas et ainsi nous avons affaire ici au seul livre sur la musique cubaine écrit en français par un Cubain. Le livre est écrit avec une simplicité et une économie de moyens qui sont les caractéristiques mêmes de son objet d’attention : les textes des chansons cubaines. Cette absence de prétention de la part de l’auteur ne l’ empêche pas de nous offrir un livre très documenté.

Les textes des chansons cubaines, tous révélateurs, ou de la société cubaine, ou de l’idiosyncrasie cubaine, ou encore du regard cubain sur la musique cubaine, sont ici soigneusement traduits, bien situés dans leur contexte et mis en rapport avec une référence discographique (chaque fois qu’elle existe). Si on suit le cours historique, ces textes vont de la vénérable habanera pour finir, à l’aube de la révolution avec ceux du mambo et du cha cha chá... Avec une continuité : la satire et le double sens cultivés depuis deux siècles et demi (la présence prolifique du double sens version coquine me semble toutefois un peu sous-estimée par l'auteur). L'humour est plutôt en l'occurrence une garantie de réalisme fut-il "merveilleux", selon l'expression d'Alejo Carpentier pour caractériser la spécificité caraïbe. Un exemple (antérieur à la période abordée) : dans les fêtes de la bonne société "blanche" du Santiago du XIXe siècle on a pu rire et danser jusqu'au matin en répétant à l'envi l'aveu du sang mêlé "Tu madre es conga" ("Ta mère est du Congo"). Par contre quand vient l'esprit de sérieux pour exalter la perfection de la vie rurale cubaine, comme c'est souvent le cas dans la guajira, ceci se conjugue avec l’occultation de l’apport culturel africain...


A propos de ce dernier : les erreurs - très rares, il faut le souligner - de traduction ou de graphie que je relève sont surtout dans le domaine afro-cubain, il est vrai périphérique par rapport au sujet. Un titre en yoruba (Iyá’mi lé Oya, “la maison de ma mère Oya”), est devenu “Viens chez moi, Oya!”(p. 93). Les masques Ireme des fraternités Abakuá issues du delta du Niger deviennent dans le texte “írimos”. Avant une phrase plutôt obscure, voire erronée, sur la conga de carnaval de Santiago (p. 164), il est question de “mont"npalo” au lieu de “montompolo”, un terme aujourd'hui inusité à propos du rassemblement qui concluait le carnaval. Dans un autre domaine, il n’y avait pas de nécessité de traduire “clave” par “clé” à propos de l'ouvrage de Fernando Ortiz sur l’instrument “clave” (p. 117). Ces erreurs, somme tout minimes, que je relève pour une future réédition, n’entachent en rien le cœur de l’ouvrage.


Dans le dernier chapitre, William Navarrette met en valeur un thème inépuisable des textes de la musique cubaine : ... la musique cubaine ! Je cite “Au fur et à mesure que l’on créait de nouveaux rythmes le compositeur pouvait établir un parallèle entre celui-ci et les styles précédents. Il pouvait également expliquer comment danser certains pas, quels instruments employer et quel était son avis sur le genre musical en question”. Comment, en effet, prétendre connaître vraiment les styles cubains sans être familier avec les textes qui les accompagnent et ce à quoi ils renvoient ? La lecture de cet ouvrage est donc à conseiller à tout aficionado des rythmes cubains.


Je signale qu’une thèse (1 017 p. en 5 volumes) a été soutenue en début d’année universitaire sur Le langage de la salsa : étude culturelle et lexicologique des musiques populaires de la Caraïbe hispanique par Élise Person, de l’université de Brest. Son analyse lexicologique est basée sur un chansonnier de 380 chansons (150 pour Cuba, 130 pour Porto Rico et New-York, 50 pour la République Dominicaine et 50 pour la Colombie). Le compte rendu de thèse, paru dans les Cahiers de Musique Traditionnelles n°13 (1 p.) déjà cités, relève en particulier l'étude des spécificités lexicales des différents pays des Caraïbes, basées sur des caractéristiques extra-hispaniques (africanismes, indigénismes). On y observe que Cuba exerce une sorte de domination lexicale sur la chanson caraïbe. L'enquête de terrain en Colombie permet de montrer l'influence de la chanson et de la musique populaire sur le parler populaire de la région caraïbe. © Daniel Chatelain

 

- ROMERO, Enrique. 2000. Salsa, el orgullo del barrio (en espagnol), ed. Celeste, Madrid. ISBN : 84-8211-263-5. Relié - 139 p. – Photos - Glossaire. Celeste ediciones : C/Fernando VI, 8-1°, 28004, Madrid, <www.celesteediciones.com>

Table des matières : Salsa na’ma - Abran paso ! - 1. El Caribe es una rumba 2. El menú de la salsa 3. Cocinando en Nueva York 4. Nuestra cosa es latina 5. Salsa, marca registrada 6. Epil"go 7. Fichas bio-discográficas 8. Gl"sario básico salsero.


Avec Enrique Romero, à qui on est redevable d’avoir publié depuis Barcelone l’intéressante revue “El manisero” (qui ne paraît plus), les choses sont claires. Il n’y a de salsa que “dura” ou “brava”, on pourrait dire “pure et dure”, à tel point que ces adjectifs espagnols sont d’emploi inutile : "Salsa na’ma!" (“la salsa et rien d’autre”). Que les dérives romantiques et érotiques aillent se faire rhabiller ! Dans cet essai aux coups de gueule salutaires, pas question de prendre la tellurique salsa pour une quelconque émulsion cosmétique de coiffeur pour “damas”. Notre caballero n’hésite pas à rompre des lances contre l’opportunisme dollarisé pour rendre à une digne et festive expression populaire sa dimension jouissive et subversive de musique du Barrio (le Quartier des latinos, avec une majuscule), autrement dit de musique urbaine latine d’aujourd’hui. Cette salsa-là est celle qui a été cuisinée à New-York dans les années 70, avec une trinité de maître-queues composée de Willie Col"n, Eddie Palmieri et Hector Lavoe.

Vingt fiches bio-discographiques, de présentation commode, donnent tous les éléments pour s’y reconnaître dans les fières figures de la salsa. Dans ces apôtres prend même place une figure de Judas (Louie Ramirez). Les deux écueils de la trahison sont ici la ballade dite romantique “en clave” et la grossièreté répétitive. On sent bien que les vrais héros de cette geste sont ceux qui ont résisté à la salsa “marque déposée” (suivez le regard du côté du gros bizness de La Fania avec Jerry Masucci). Dans le choix des figures de proue ont pris toute leur place deux percussionnistes (Ray Barretto et Tito Puente), mais seulement deux. J’ai apprécié la place faite aux orchestres de référence : bien sûr la Fania (dont la gloire est entachée de commercialisme frénétique selon l’auteur), le Grand Combo et la Sonora Ponceña de Puerto Rico, à la lueur stellaire sans reproche.


Un bon glossaire salsero termine cet essai qui remet utilement les pendules à l’heure... mais se refuse à interroger l’avenir. On peut être étonné en effet, que l’auteur ne prenne pas en compte les phénomènes de ces dernières années, avec, par exemple, la sortie de l’isolement des figures de proue actuelles de la musique cubaine dansante, leur présence dans le marché US et latino-américain comme compositeurs (Alberto Alvarez, Juan Formell des Van Van), comme chanteurs et musiciens, dont ceux signés par les producteurs phares (Jerry Masucci avant sa mort en 1997 et Ralph Mercado). Le contact des musiciens cubains gardant un pied dans l’île et de la glorieuse vieille garde salsera a fini par être rétabli, de cette manière ou d’autres, et ne peut pas ne pas avoir de conséquences musicales, y compris positives. Me paraît significatif à cet égard le film Yo soy del son a la salsa (1997), présenté par le chanteur cubain Issac Delgado, qui a adossé ensemble, pour la première fois dans un long-métrage les deux versants New-York/Porto Rico et Cuba de cette musique. La nostalgie d’une haute époque explique-t-elle seule cette absence de référence d’Enrique Romero à l’actualité où doit-on faire les hypothèses que son manuscrit a tardé à être publié et qu’il se réserve pour une suite ? Ce livre me paraît indispensable en tout cas à tous les passionnés hispanophones de la salsa. © Daniel Chatelain

 

- STEWARD, Sue. 1999. Salsa, musical heartbeat of latinamerica (en anglais), Thames & Hudson, London. ISBN 0-500-28153-X. Relié. 176 p. - 228 illustrations (photos, cartes...) - Discographie - Bibliographie. Index.

Table des matières : préface de Willie Col"n. Introduction : The world of Salsa. Salsa : the music, the dance 1. The roots of Salsa (Cuba) 2. The salsa centres (Spanish Harlem, USA, Cuba, Puerto Rico, Santo Domingo, Miami, Columbia, London) 3. Crossing borders (Latin jazz, afro-cuban jazz, Africando). From here to mañana. Not forgetting... Prix : 27,59 euro.


Dans ce livre, Sue Steward est aussi pragmatique que l'on peut attendre d'un(e) anglo-saxon(ne). Elle ne s'embarrasse d'aucune définition de la salsa. Si les marchands ont décidé de mettre toute la musique caraïbe et latino-américaine dans les bacs de la salsa, cela lui convient aussi bien et c'est de tout ce qu'on trouve dans ces bacs qu'elle nous parle. Ainsi, cet ouvrage nous parle de tout : des racines cubaines, des relations apparues entre New-York, Puerto Rico et Santo Domingo, de Miami comme de Londres et même d'Afrique (Africando…). Sont conviés le merengue, la plena ou la cumbia aussi bien que le son, le mambo ou le cha cha chá cubains et que tous les hybrides médiatiques du moment. Cela produit un ouvrage très illustré, de mise en page sophistiquée et attirante, fourmillant d'informations en tous genres. Les tendances de la "nueva generaci"n" cubaine ne sont pas oubliées, pas plus que les phénomènes commerciaux en cours. A ce propos, elle reprend allègrement la fable à dormir debout de Ry Cooder et de Nick Gold, compatriote de l'auteur, découvreurs en terrain vierge de la vieille génération cubaine pour livrer au monde ébahi le “Buena Vista Social Club”. A la lire d'ailleurs, il n'y a de musique cubaine et de salsa en Europe qu'on ne doive… à l'Angleterre ! (c'est-à-dire que nous serions exclusivement redevables du phénomène aux labels anglais du disque). Ni l'Espagne ni la France n'ont droit de cité, des pays où Compay Segundo ou la Vieja Trova Santiaguera ou encore le Afro-Cuban All Stars de Juan de Marcos González (le véritable défricheur du “Buena Vista”) tournaient bien avant le succès du disque “Buena Vista Social Club”, des pays qui furent par ailleurs indispensables à l'impact hors de Cuba des jeunes musiciens des groupes de timba… (autre élément de cet anglo-centrisme : les paroles originales ne sont jamais citées, il faut se contenter de leur traduction anglaise). Et les éléments évoqués du passé musical cubain à Londres feraient piètre figure face au passé cubain parisien depuis les années 20 et face à l'impact de la chanson cubaine dans l'ex-puissance coloniale espagnole !


Ceci dit, les lecteurs à la recherche d'un vaste panorama de la musique latine que ne rebuteraient pas l'éclectisme (et le subjectivisme national) de l'auteur trouveront une moisson d'informations que l'on s'étonne de trouver dans un même ouvrage et seront comblés par la riche iconographie déployée. © Daniel Chatelain

 

- RUEL, Yannis. 2000 : Les soirées salsa à Paris, regard sociologique sur un monde de la fête, Paris : L'Harmattan, série Musique et Champ Social, 286 p. - cartes. ISBN 2-7384-9314-9. www.caribefolk.com prix : 22.85 €.

Sommaire : Introduction : un monde des soirées salsa à Paris 1. Un peu d'histoire : la salsa, exercice de définition et historique 2. Historique du "cubanisme" musical à Paris 3. État des lieux des acteurs des soirées salsa à Paris 4. Problèmes dans la coopération et paradoxe de l'authenticité – Conclusion – Annexes : distribution des lieux de diffusion de musique cubaine et salsa à Paris au XXe siècle – Discographie – Bibliographie.


Titre et sous-titre de l'ouvrage soulignent que le phénomène musical pris pour sujet vaut au moins autant par son inscription sociale que pour lui-même. La salsa est étonnamment liée dès l'origine à la sociologie, ou plutôt aux phénomènes sociologiques, puisque la salsa n'est pas née comme un genre musical mais comme produit dialectique d'un processus sociologique liée à une identité (le "latino" transplanté qui se reconnaît dans la culture du "barrio" – quartier - communautaire) et d'un phénomène commercial étiquetant nouvellement cette musique et cette danse indépendamment de ses origines nationales. Un auteur édité aux États-Unis n’a-t-il pas osé (significativement) un titre d'ouvrage tel que Salsiology? Ici, cette "sociologie de la salsa" s'intéresse à la manière dont elle s'est intégrée à Paris, moins au niveau du phénomène musical (populaire ou commercial) qu'aux pratiques festives de la “nuit salsa”. L'explosion de la salsa à Paris (et à la suite dans la province française) est un phénomène notoire des dernières années qui justifie cette étude.


Le sous-chapitre sur l'histoire de la musique cubaine à Paris depuis 1928 a l'intérêt d'exister, mais je dois dire qu'il m'a laissé sur ma faim. La présence des musiciens cubains à Paris dans les années 50-60, en particulier, mériterait une étude plus fouillée, ce qui éviterait de se demander inutilement "si l'on dansait ou non sur le mambo et le cha cha- chá au cours des soirées à Paris dans ces années-là"! Par différents témoignages, il se trouve que je suis certain que ces soirées, fussent-elles de bal, étaient plus endiablées que s'imagine l'auteur ! Plus roboratif, un dépouillement systématique de la presse permet à Yves Ruel d'analyser l'utilisation idéologique du terme “afro-cubain” dans la presse des années 70-80, (mis à toutes… les sauces et systématiquement préféré à celui de “cubain”) avec l'intention sous-jacente de "valoriser l'apport africain à cette culture et à sa musique en particulier" (p. 65).


La technique d'enquête par questionnaire est au cœur de l'ouvrage. L'auteur s'est adressé pour sa recherche aussi bien aux professionnels (journalistes, organisateurs de soirée, musiciens, DJ), qu'aux participants, les danseurs, latins d’origine ou non. Le lecteur constate, avec l'auteur, en lisant les réponses de ces amateurs, une difficulté à rendre compte de l'expérience vécue autour de la danse. On tourne autour d'expressions "clichés" ("faire vibrer les gens", "fiesta caliente", "impression d'être à Cuba") pour exprimer les motivations qui font rechercher "l'ambiance latino". Au-delà, Yves Ruel nous montre que la représentation de l'identité latino-américaine faite dans ce milieu montre une opposition entre recherche de l'authenticité et phénomène commercial. Que l'identité cubaine soit la plus valorisée par le public coexiste avec une médiatisation faible (exemples : vente de disques, émissions TV) des artistes cubains en France. La légitimité des artistes s'oppose à la marchandisation. Du coup, les groupes de musiciens non-latins ont de la difficulté de trouver grâce aux yeux de ce public (cela me rappelle le ressort de scénario du film Salsa où un pianiste français se fait passer pour un professeur de danse cubain pour se faire accepter dans ce milieu…). En revanche, la préoccupation de ce public étant de danser, il est peu orienté à opérer une hiérarchisation entre les groupes. Le concert de salsa permet, selon l'auteur, d'échapper au "dilemme fondamental", l'opposition créateur-public massifié ; il y a un consensus entre le musicien et le public, car "c'est en satisfaisant le public que l'orchestre de salsa parvient à ses fins". "Le caractère fonctionnel de la salsa comme musique de danse n'est donc nullement conçu de manière péjorative” (p. 202), si bien que si on parle de "salsa commerciale" on sous-entend qu'il ne s'agit pas réellement de salsa… Cela va de pair avec une valorisation de l'improvisation par rapport à une simple reproduction.


Parmi les interrogés, les "professionnels" rendent mieux compte du sens - et de la dimension économique - de cette musique que les danseurs. La lecture m'a laissée la sensation d'un échantillon réduit dans les personnes interrogées. Dans ces "professionnels" figure un percussionniste parisien et argentin, Eddie Tomasi dont les remarques ne sont pas les moins judicieuses.


Que reste-t-il de la fête quand les instruments se sont tus et les cendriers remplis de cigares refroidis ? La perspective d'une autre fête ! Aussi cette lecture éloigne plus de la fête vécue qu'elle ne permet de s'en approcher. La distanciation est difficile à vivre sur certains sujets! Il ne serait donc pas étonnant que le lectorat de ce livre soit plus réduit que celui des amateurs toujours grandissants des soirées salsa, un phénomène d'ampleur étonnante ces derniers temps, qui a continué à croître après l'enquête d'Yves Ruel parti depuis vers les rivages portoricains. L'ouvrage donne incontestablement des clés sur un phénomène émergent. Il donne curieusement l'impression d'avoir été fait un peu tôt, dans un groupe social encore étroit. Le milieu de la salsa en France pourrait ainsi prêter à de nouveaux développements sur les bases posées par l'auteur.
© Daniel Chatelain

 

- Olivier Cossard, Helio Horovio. 2000 : Ritmo Cubano, 250 superbes pochettes de la musique cubaine. Paris : éd. La Mascara. ISBN : 2-914237-02-2. 128 p. - livre d’illustrations avec un CD - Préface de Leonardo Padura Fuentes.


Apparemment rien de plus égoïste que la passion du collectionneur. Mais elle peut se muer en élan de générosité lorsqu’elle est ainsi partagée. Ces 250 pochettes cubaines parmi les plus caractéristiques viennent ici à leur manière raconter un demi-siècle de musique cubaine, entre véritable expression populaire et paillettes kitsch. Un demi-siècle dont la date de naissance est l’apparition du LP en 1948. A ce jeu, avec les fastes des années 50, le Cuba pré-révolutionnaire est le plus propre à réveiller nostalgies et fantasmes. Les quatre dernières décennies ne sont pas pour autant laissées pour compte. Je me suis moi-même étonné à lire ce livre... d’images (certes parsemé de courts textes évocateurs) page par page, comme un polar qu'on ne peut lâcher quelle que soit l'heure de la nuit. C’est un magnifique cadeau à faire... ou à se faire. © Daniel Chatelain

 

- Olivier Cossard, Helio Horovio. 2001 : Le Guide des Musiques de Cuba. Paris : éd. Mille et une Nuits. ISBN : 2-84205-457-1. 191 p. - photos (N. & B.).

Sommaire : Introduction 1. A la croisée de l’Espagne et de l’Afrique 2. Les fruits du métissage : la musique cubaine classique et ses genres traditionnels 3. La musique cubaine classique : compositeurs et interprètes 4. Le renouveau musical, des années 50 à nos jours. Annexes : Paris cubano, Paris latino - un guide de la musique cubaine à Paris et en Province - 15 chansons indispensables - 100 disques - bibliographie - glossaire.


Les parutions en français sur la galaxie musique cubaine-salsa-latin jazz se sont accumulées ces dernières années, au rang desquelles on doit inclure Fiesta Habana Cuba (compte-rendu dans PERCUSSIONS n°5), des mêmes auteurs (plus Leonardo Acosta). Elles se sont accumulées à tel point qu'on pourrait être en droit de s’interroger ce que peut apporter Le Guide des Musiques de Cuba ici présenté si on le confronte à la bonne dizaine d’ouvrages recensés. La présence parmi les deux signataires de l’auteur du prestigieux Diccionario de la música cubana assure d'emblée l’intérêt de voir exposé en français le point de vue d’une autorité cubaine du domaine, en l’occurrence complété par le point de vue d'Olivier Cossard, maître d'œuvre à ce jour de trois parutions sur la musique cubaine. Pour s'en tenir à Helio Orovio, on sait qu'il sait mettre la musique cubaine à sa juste place dans l'ensemble caraïbe, sans cubano-centrisme excessif, son ouvrage Música por el Caribe (1994) que j'avais commenté à l'époque dans PERCUSSIONS, le montre assez. Aussi l'épineux sujet de la relation de la musique cubaine et de la salsa, non seulement n'est pas évité, mais évite le passionnel pour des analyses judicieuses.

Qu'est-ce que la "timba" cubaine - terme qui a pris la relève au milieu des années 90 de l'éphémère appellation "salsa cubana" - par rapport à la salsa disons "historique"? L'ouvrage répond :
"Alors que les musiciens de salsa travaillaient sur une base de guaracha, de son et d'autres rythmes caraïbes mélangés à du jazz, du rock et de la soul, superposant des harmonies et des concepts orchestraux très raffinés à une base rythmique plutôt traditionnelle, les Cubains, eux, se réfugiaient dans la rumba, la conga, le son guaguanc" et élaboraient une structure orchestrale puissante, à base de percussions notamment, à la recherche d'une polyrythmie à fort impact. C'est ce résultat sonore-là qu'on nommera plus tard timba". Nos auteurs
distinguent la timba d'une autre tendance actuelle appelée par eux "salsa cubanisée" (d’ailleurs toutes deux compatibles avec une influence du rap latino).


On retrouve la "patte" d'Horovio sur la description des styles cubains, sur l'attention portée aux compositeurs dits classiques de la musique cubaine (Ernesto Lecuona, Gonzalo Roïg, Rodrigo Prats, Eliseo Grenet, Moises Simmons…) qui, tous, ont apportés énormément à la musique populaire cubaine et sont plutôt en dehors du centre d’intérêt des autres ouvrages en Français. Les vingt pages sur la rumba sont une bonne surprise du livre et synthétisent différentes recherches cubaines sur le sujet (un domaine toutefois où la spontanéité populaire déborde les nécessaires définitions académiques ici présentes et mériterait d’être évoquée avec plus d’actualité sociale).
Trois pages abordent utilement le "Paris cubano, Paris latino". C'est sans doute insuffisant pour rendre justice à tout le monde ; cependant comment oublier, même dans ce cadre étroit, l'apport crucial d'Alfredo Rodríguez ? Sue Steward, quant à elle, ne relève pas dans son ouvrage l'existence d'un "Paris cubano" pas plus que "latino" mais n'oublie pas pour autant de citer notre pianiste cubain du XVIIIe arrondissement - toujours entouré de percussionnistes d’élite - surnommé à l'anglaise… "Monsieur oh la la !" !


Par ailleurs le livre n'est pas exempt de coquilles (ex : "Carl" Tjader au lieu de Cal…). Plus dommageable : la traduction d'Horovio introduit à plusieurs reprises approximations et erreurs. En aucun cas on ne peut "frapper" le tambour ekue, qui est un tambour à friction (p. 31) ; le guayo (racleur métallique : une râpe sortie de la cuisine créole) du rural changüi est dans l'impossibilité totale d'être "un crochet utilisé pour les viandes" (on a confondu "viandes" et viandas, les racines cubaines propres à être éventuellement râpées) ; el "monte", cubanisme (certes difficilement traduisible) pour la nature sauvage, n'a pas le sens de "montagne", "brousse" serait mieux approprié ; et peut-on dire sans autre explication que les tambours arará sont en forme de bottine (p. 31) ? Cette traduction lapidaire du populaire “abotinado” est incompréhensible au lecteur moyen… Certaines définitions du glossaire ne sont pas exemptes d’un certain flou.


Je tiens à dire que ces défauts périphériques sont légers en regards d'autres ouvrages qui en font étalage à un degré nettement supérieur, jusqu'à atteindre l'incompréhensible. Je pense à un autre guide, le très illustré "Guide essentiel de la Salsa" dont je trouve la version française à cet égard calamiteuse. Une curiosité dans le livre de Cossard et Horovio est de voir les portraits des grandes figures de Celia Cruz et Benny Moré clore le chapitre des..."classiques cubains" : honneur supplémentaire pour "El Benny", plus grande figure cubaine de la musique de tous les temps mais qui ne lisait ni n'écrivait la musique comme le savent fort bien nos auteurs, mais honneur superflu !


J'ai beaucoup apprécié les nombreux exemples de chansons, avec leur (bonne) traduction en regard et les précisions biographiques sur leurs auteurs. Un texte écrit sur des bases plus que solides, une information dense, le format de poche pratique et un prix incitatif font qu'il n'y a aucune raison de se priver de cet ouvrage. © Daniel Chatelain

Note :
1. Sur la question de la clave, le lecteur hispanophone ne pourra faire l’économie de la lecture de Quintero, Angel Rivera. 1998.


Livres cités :
Carpentier, Alejo. 1985 (pour l’édition française) : La musique à Cuba. Paris : Gallimard
G"mez, José Manuel. 1996 : Le guide essentiel de la Salsa. Paris : éd. La Máscara.
Horovio, Helio, 1994 : Música por el Caribe, Santiago de Cuba : éd. Oriente.
Pérez, Rolando. 1986 : La binarisaci"n de los ritmos ternarios africanos en América latina, La Havane : ed. Casa de las Américas.
Ortiz, Fernando 1984 : “La clave xylof"nica de la música cubana”, La Havane : ed. Letras cubanas.
Quintero, Angel Rivera. 1998 : Salsa, sabor y control ! Sociología de la música "tropical", La Havane/Bogotá : Premio Casa de las Américas, 461 p.

Première parution de l'article : revue PERCUSSIONS nouvelle série n°7. 2000.


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